NOUVELLES DU TROIS-MATS GOELETTE D'EXPLORATION "LA BOUDEUSE"    "La Boudeuse" se trouve actuellement au coeur du Pacifique sud, à mi-chemin entre l'île de Pâques et l'île de Pitcairn, autrement dit au milieu de nulle part... Hormis ces deux îles, minuscules et à peine peuplées, il n'y a pas âme qui vive à moins de 5000 kilomètres à la ronde. Le navire est sans doute dans l'un des lieux de la planète les plus isolés de son tour du monde à la redécouverte des "Peuples de l'eau".

Parti il y a sept mois exactement de son port d'attache de Bastia en Corse, "La Boudeuse" a parcouru jusqu'à présent 16.000 milles (30.000 kilomètres) à travers l'Atlantique et le Pacifique dont 6000 kilomètres de remontée de l'Amazone et de ses affluents: un parcours fluvial qui a mené le navire et son équipage de l'embouchure de l'Amazone à la frontière colombienne, dans une traversée de près des deux tiers du continent sud-américain.

	C'est dans la partie colombienne de l'Amazonie, entre septembre et novembre 2004, que s'est déroulée  la première des douze expéditions terrestres prévues au  programme de "La Boudeuse". Patrice Franceschi, le capitaine du navire, et quatre membres de son équipage, séjournèrent chez les indiens nomades Yuhup du territoire de l'Apaporis, une région de l'Amazonie encore préservée par son isolement.
	C'était le troisième séjour de Patrice Franceschi chez les énigmatiques Yuhup avec lesquels il avait établis un premier contact en 1976. Considérés comme les "maîtres du curare" par les tribus indiennes sédentaires, et possédant les shamans les plus réputés, les Yuhup continuent de vivre en autarcie, pratiquant chasse, pêche et cueillette.
	Il s'agissait pour l'équipe de "La Boudeuse" de continuer à suivre l'évolution de ce petit peuple de quelques dizaines de personnes qui tente désormais d'apprivoiser la modernité. Cette équipe rejoignait ensuite le bord à Cayenne en Guyane française. Après avoir contourné le nord-est de l'Amérique du sud et traversé le canal de Panama, "La Boudeuse" s'engageait dans le Pacifique le 31 décembre 2004.

Destination, la mythique île de Pâques à 4500 kilomètres de là, via les Galapagos. Une longue route maritime de près d'un mois marquée par les grains tropicaux du "pot au noir" et le retour des alizés de sud-est. La seconde expédition de "La Boudeuse" avait donc pour objet l'île de Pâques. Plus précisément ses habitants dont on ne parle presque jamais tant les "mystères" de l'île dominent l'imaginaire occidental, masquant tout le reste. C'est à peine si l'on sait que des hommes vivent sur cette île...

	Au delà des colosses de pierre qui parsèment les côtes (les célèbres Moaïs), symboles du mythe, il s'agissait de découvrir qui sont vraiment les Rapa Nui, les habitants actuels de l'île de Pâques. On peut dire que d’une certaine manière, cette seconde expédition avait pour but de se glisser dans les coulisses du mythe afin de découvrir la réalité qui se cache derrière. Les Rapa Nui sont moins de quatre mille et très peu d'entre eux descendent directement des hommes qui érigèrent autrefois les moaïs. La plupart des habitants d'origine ont disparu dans les convulsions qui suivirent la découverte de leur île et de leur culture étonnante et unique. Pour cette raison sans doute, la préoccupation essentielle et presque obsessionnelle des Rapa Nui d'aujourd'hui est de revivifier cette ancienne culture dont il reste bien peu de choses, dominée qu'elle est par la modernité du mode de vie chilien dont l'île de Pâques dépend.
	Au cours des quatre semaines de séjour sur place, l'équipage de "La Boudeuse" s'est fondue dans cette population Rapa Nui, déracinée mais attachante, partageant la vie des pécheurs ou des éleveurs, sillonnant l'île sans relâche, à pied ou à cheval, le moyen de transport le plus utilisés par les "Yorgos", ces cow-boys locaux aux cheveux longs, qui se veulent libres et sans attaches. Tous ces hommes, où presque, poussés par la curiosité et encouragés par une véritable volonté d'échange de la part de l'équipage, ont finit par rejoindre le bord pour découvrir à leur tour le monde particulier de "La Boudeuse" au cours des nombreuses navigations effectuées le long des côtes de l'île. Qu'ils soient pécheurs, fermiers, éleveurs, sculpteurs ou gouverneur de l'île, ils ont tenu la barre du navire et entrevu son univers comme ils avaient laissés entrevoir le leur à l'équipage.
Ce dernier a ainsi finit par découvrir ce qu'il y avait par delà les paysages somptueux et tourmentés de l'île de Pâques: une société complexe, marquée par l'isolement et l'histoire, tournée sur elle-même et en quête de son identité. Dès les premiers jours et sans l'avoir cherché, "La Boudeuse" s'est rendue célèbre dans toute la population Rapa Nui. Tout simplement parce qu'il est extrêmement rare que des trois-mâts traditionnels ressemblant à ceux qui ont découvert l'île au 18ème siècle viennent jeter l'ancre ici, encore plus rare qu'ils restent aussi longtemps sur place, et du jamais vu que leurs équipages partagent la vie des habitants.
La moyenne de séjour des étrangers est de 72 heures. De surcroît, le jour de son arrivée, "La Boudeuse" a surexcité les archéologues locaux du fait de ses formes anciennes, bien plus basses sur l'eau que les trois-mâts construits depuis une cinquantaine d'années et qui sont passés par ici. Ces formes, ainsi que le rapport longueur/largeur de la coque, étayent une théorie qui a cours chez ces archéologues à propos des autels cérémoniels, appelés Ahu, dressés jadis par les habitants de l'île le long des côtes. D'après cette théorie, les plus rudimentaires de ces autels cérémoniels, ressemblant à des murs de pierres de 20 à 40 mètres de longueur pour 3 ou 4 de largeur, ne seraient pas les plus anciens de la culture Rapa Nui mais au contraire les plus récents. Ils symboliseraient les navires occidentaux arrivés ici il y a trois siècles. Ces navires auraient tant frappés l'imagination des Rapa Nui, qu'abandonnant une partie de leurs croyances, ils se seraient mis à "adorer" ces objets venus d'un monde qu'ils n'imaginaient pas. D'après des témoignages recueillis au siècle dernier, les Rapa Nui organisaient à cette époque des cérémonies sur ces autels, mimant les manœuvres d'un équipage, les ordres d'un capitaine, utilisant des poteaux de bois et des feuilles de bananiers pour imiter mâts et voiles. Après avoir mesuré et photographié "La Boudeuse" sous toutes les coutures, ces archéologues de l'île de Pâques firent découvrir à Patrice Franceschi les autels cérémoniels en question, les mesurant et les photographiant à nouveau, modélisant ensuite l'ensemble de ces données sur ordinateur. Résultat: à n'en pas douter ces autels cérémoniels, au nombre d'une quinzaine, sont des reproductions en pierre de navires traditionnels. Etraves et poupes sont assez fidèlement reproduits et reconnaissables, ainsi que les emplacements des mâts. L'équipage de "La Boudeuse" n'avait jamais imaginé que son navire puisse être utile de cette manière à la science et à l'histoire...

	Le 22 février dans l'après-midi, "La Boudeuse", mission accomplie, quittait l'île de Pâques pour entamer sa troisième expédition. Une expédition dont l'aire d'étendue est cette fois extrêmement grande puisqu'il s'agit désormais de parcourir le reste du Pacifique d'Est en Ouest à la recherche des communautés humaines les plus isolées qui soient, sur des atolls et des îles perdues, des Tuamotu aux Tonga en passant par les Gambiers, les Marquises, les Cook island, les Fidji, les Samoa, etc... Et de découvrir à travers cette longue quête au milieu du plus vaste océan du monde ce qu'il en est aujourd'hui du "mythe des mers du sud".
Première étape dans quelques jours, l'île de Pitcairn encore distante d'un millier de kilomètres. C'est dans cette île à peine longue d'un kilomètre que se réfugièrent à la fin du 18ème siècle les fameux révoltés du "Bounty". Avec une poignée de tahitiens, ils y vécurent en communauté plus d'une quarantaine d'année avant d'être retrouvés par hasard par un navire de passage. 46 de leurs descendants vivent toujours dans l'île, isolés de tout. Seuls quelques cargos passent ravitailler cette communauté trois ou quatre fois par an. Un microcosme encore plus impressionnant que celui de l'île de Pâques. Ensuite, ce seront les Gambiers et tous les atolls isolés de l'archipel des Tuamotu avant d'atteindre Tahiti d'ici quatre semaines.
Carte Polynésie Interview P. Franceschi